Pointe-Noire Congo-Brazzaville : Le sang, une monnaie d’échange ?

Article : Pointe-Noire Congo-Brazzaville : Le sang, une monnaie d’échange ?
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26 juin 2017

Pointe-Noire Congo-Brazzaville : Le sang, une monnaie d’échange ?

En juin, on célèbre la journée mondiale du don du sang. La réalité vécue dans les hôpitaux de la ville de Pointe-Noire amène à se poser des questions sur la gestion qui est faite du sang récolté lors des continuelles campagnes du don de sang organisées. Le sang, une denrée humaine précieuse, devenu une monnaie d’échange ?

Banderolle de la journée du 14 juin 2017

Il est 7h30, et me voilà devant le grand hôpital de la ville où je suis venue pour suivre des personnes à la recherche du sang pour un parent malade. Je me décide à suivre Flaura qui garde sa sœur depuis la veille. Elle a été admise pour une anémie sévère. Le médecin a demandé qu’on lui administre 8 poches de sang à raison de 7500 F CFA par poche. Arrivées à la banque de sang aux environs de 9H00, elle n’a pu obtenir que 2 poches, les 6 autres ont été trouvées grâce à un passe-passe que seuls les infirmiers du service de réanimation pourraient expliquer. Pour ces 8 poches de sang 60 000 FCFA ont été empochés. Pourtant, malgré l’achat des poches de sang, Flaura me raconte que ce n’est pas terminé : « il nous faut venir avec 32 donneurs afin de compenser le sang que nous avons acheté et qui a été administré à ma sœur. Pour chaque poche de sang, il faut 4 donneurs. Si nous n’avons pas de donneurs, nous devons donner 5 000 F CFA à chaque agent de la Banque de sang qui acceptera de donner son sang pour nous aider »

Cette situation assez incongrue a fait que je me rapproche du personnel de la Banque de sang. Il a été difficile de trouver un agent capable de répondre à mes questions. Par chance, l’un d’eux a accepté en exigeant que je ne divulgue pas son identité. Il m’a dit pour commencer qu’il n’y a pas d’explication à donner, puis petit à petit, il s’est mis à m’expliquer : « Le sang est cher parce que peu de personnes acceptent de faire un don de sang. Le sang manque cruellement à la Banque de sang. Nous sommes obligés de demander au personnel de venir en aide aux malades en faisant un don. Mais pour cela, il doivent quand même recevoir une petite compensation ».

Lorsque je lui rappelle que cela fait de longs mois que l’on voit des affiches et assiste à des campagnes massives de don de sang dans la ville, il se ravise et affirme qu’en réalité, « plusieurs personnes donneuses sont malades et que le sang souvent récolté est impropre à l’utilisation médicale appropriée». Je lui ai alors demandé, pourquoi continuer à recueillir du sang dans les rues de la ville (car cela devenu monnaie courante) si ce sang est d’avance détruit comme il le prétendait ? De plus, le don de sang étant un acte volontaire et revêtant un caractère presque militant, a-t-on besoin d’en faire une publicité et de le clamer sur tous les toits ? Embarrassé, ce même agent n’a pas pu me donner de réponse satisfaisante. Il s’est contenté d’ajouter que la Banque de sang est obligée de faire ces campagnes et d’organiser les séances de don dans les endroits stratégiques et fréquentées de la ville pour pouvoir susciter la générosité des populations.

Le personnel soignant, au lieu de se mettre du côté des malades, se préoccupe plus de veiller à ce que les malades n’ayant pas remboursé les poches de sang utilisées, ne soient plus jamais admis à l’hôpital pour recevoir une autre transfusion sanguine, en cas de besoin. « Nous sommes obligés de faire ainsi, parce qu’il y a des abus de la part de certaines familles. Tout le monde a besoin de se faire soigner. Or, certains, après avoir eu des faveurs, disparaissent dans la nature oubliant qu’un jour ils pourront encore revenir ici. Les malades ne sont parfois pas corrects ». Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des familles se débrouiller pour faire venir du sang de Brazzaville, la capitale (à 500 km de Pointe-Noire) ou de Dolisie, la 3ème ville (300 km). Du sang qui transite par des filières incontrôlées ni encadrées par aucune procédure médicale.

Cela fait des années que cette situation perdure au grand désarroi des malades et leurs proches. Mêmes les donneurs de sang qui ont leur carte sont victimes des mêmes attitudes de la part du personnel soignant. La Banque de sang met en avant le statut de privilégié que posséderait un donneur, afin d’inciter les populations à offrir leur sang. Cependant, lorsqu’un donneur se retrouve en situation de détresse, pour lui-même ou pour un ayant droit, aucun hôpital ne le reçoit avec les égards promis.

Le don de sang est devenu un marché de dupes dans un environnement où certains donneurs le font pour bénéficier d’un sandwich et d’une boisson ou encore d’un peu d’argent.

Ce matin, j’ai reçu un appel téléphonique de Flaura. Elle me dit que sa sœur est de nouveau admise à l’hôpital depuis hier soir. Or, la famille n’a pas encore pu trouver les 32 personnes ou les 160 000 FCFA pour rembourser les poches de sang utilisées. Pour pouvoir la faire transfuser de nouveau, il a fallu qu’elle déclare une autre identité. Les 2 nouvelles poches de sang exigées leur coûteront 15 000 FCFA. Et il leur faudra en plus 8 personnes à qui il faudra prendre du sang ou 40 000 FCFA à donner aux agents volontaires de la banque de sang. Ce qui fera une facture de 200 000 FCFA ou 40 volontaires à qui il faudra tirer du sang pour rembourser les 10 poches utilisées.

On peut aussi lire cet article sur le CHU de Brazzaville.

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